Parents isolés – les pères trinquent
Réduire les inégalités entre les hommes et les femmes est un objectif affiché et régulièrement renouvelé de nos gouvernements successifs. Mais si dans la vie sociale les inégalités en défaveur des femmes sont encore souvent marquées, il n’en va pas de même en matière de santé, domaine où les femmes ont, on le sait, un avantage certain, ne serait-ce que parce que les hommes les précédent dans la tombe de quelques années (tout au moins dans les pays développés).
Une étude canadienne publiée en ligne sur le Lancet Public Health et longuement commentée sur internet, pointe du doigt une différence criante jusqu’ici méconnue entre les hommes et les femmes.
Maria Chiu et coll. de Toronto se sont intéressés à la mortalité des pères isolés, question qui contrairement à celle des mères isolées n’avait été l’objet jusqu’ici que d’une seule étude épidémiologique comparative.
Ce travail conduit entre 2000 et 2016 a porté sur un échantillon représentatif de la population canadienne regroupant 871 pères isolés (divorcés, séparés ou veufs vivant seuls avec un enfant de moins de 25 ans), 4 590 mères isolées (selon la même définition), 16 341 pères en couple et 18 688 mères en couple. Pour tous ces sujets, suivis pendant une durée médiane de 11,10 ans, on connaissait à l’entrée dans l’étude (grâce aux croisements anonymes avec des bases de données et à un questionnaire auto-administré) de très nombreuses particularités démographiques et sanitaires (âge, ethnie, niveau de revenu et d’éducation, mode de vie [statut dans l’emploi, tabagisme, consommation d’alcool, consommation de fruits et légumes, activité physique…], obésité éventuelle, pathologie cardiovasculaire, respiratoire, endocrinienne ou néoplasique déclarée, consultations, séjours aux urgence ou hospitalisations dans les antécédents etc …).
Une mortalité plus élevée que chez les mères isolées
Les résultats bruts montrent que la mortalité des pères isolés est élevée (5,8 pour 1 000 personnes années) et très supérieure à celle des mères isolées (1,74 pour 1 000 personnes années), des pères vivant en couple (1,94 pour 1 000 personnes années) et des mères vivant non isolées (1,19 pour 1 000 personnes années).
Les caractéristiques démographiques, sociologiques et sanitaires des pères isolés expliquent bien sûr (pour partie) cette surmortalité, puisque, par exemple, ils étaient un peu plus âgés que les mères isolées ou les mères et les pères vivant en couple, qu’ils comptaient plus d’épisodes de « binge drinking » dans le mois précédent que les mères (isolées ou non), qu’ils étaient plus souvent atteints de cancer ou de maladies cardiovasculaires à l’entrée dans l’étude que les mères (isolées ou non) ou que les pères vivant en couple. En matière de tabagisme et d’obésité, les différences paraissaient plus faibles entre les mères et les pères isolées.
Pas d’explication univoque
Après des ajustements par l’âge et par les variables sociologiques, démographiques et sanitaires connues (selon divers modèles), le risque de décès des pères isolés est toujours apparu supérieur à celui des autres groupes étudiés : multiplié par 2,49 en comparaison avec les mères isolées (avec un intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre 1,20 et 5,15 ; p = 0,01) et par 2,06 vs les pères vivant en couple (IC95 entre 1,11 et 3,83 ; p = 0,02).
Malgré cette tentative d’ajustement, du fait du manque d’informations précises sur plusieurs facteurs de risque connus (par exemple le nombre de cigarettes fumées) et sur le mode de vie ou sur les répercussions psychologiques de cet état, on ne peut bien sûr affirmer que le fait de vivre seul avec un enfant soit, per se, un facteur de risque de surmortalité pour les pères. Et il est plus plausible qu’il ne s’agisse que d’une association non directement causale qui fasse intervenir des facteurs de confusion multiples. De plus la responsabilité partielle d’une causalité inverse ne peut être exclue (le fait d’être à haut risque de surmortalité pouvant avoir été en partie à l’origine de la séparation du couple !).
Quoi qu’il en soit, ce travail novateur aura le mérite de mettre en lumière cette situation de plus en plus fréquente, de faire considérer l’état de père isolé comme un marqueur de risque de surmortalité et de pousser les professionnels de santé à débusquer et à prendre en charge les facteurs de risque comportementaux amendables chez ces sujets.